L’abbaye de Montheron garde encore des secrets
Des projets de fouilles supplémentaires et de mise en valeur du site sont actuellement à l’étude
Michel Fuchs
Professeur d’archéologie (UNIL)*
Le site de l’abbaye cistercienne de Montheron, sur la commune de Lausanne, a été le premier à retenir l’attention des historiens médiévistes et des archéologues de l’UNIL
pour y tenter une approche conjointe. L’église a été classée monument historique en 1930 grâce aux efforts du premier archéologue cantonal du canton de Vaud, Albert Naef, qui en 1907 déjà, avait noté l’importance d’une grosse poutre sculptée du XIIIe siècle dans les sous-sols de l’auberge attenante. Des fouilles menées en 1911 face au temple protestant, au pied du bâtiment rural, qui prend place de l’autre côté de la route séparant les deux édifices, révélèrent l’importance de l’ancienne église abbatiale. L’historien et archiviste cantonal Maxime Reymond va en profiter pour écrire le premier ouvrage sur L’Abbaye de Montheron, paru en 1918. Il fera foi pendant longtemps, mais insuffisamment pour convaincre la Ville de Lausanne, propriétaire des lieux, de mener les travaux de restauration rendus nécessaires par la vétusté du temple. Un chantier archéologique est ouvert en 1928 et va conduire à d’importantes découvertes sous le temple. Son classement lui vaudra dès lors d’être préservé avec attention.
De nouvelles fouilles sont conduites en 1975-1976 et l’ampleur des vestiges dégagés permit enfin la restitution d’une abbaye imposante: construite au XIIe siècle, elle barrait le vallon ombragé et solitaire qui caractérise l’endroit aujourd’hui encore; entre rivière du Talent et falaise de molasse, elle a fini par occuper un espace de 50 sur 75 m où se répartissaient église, salle capitulaire, locaux des moines et cloître, sans oublier la maison de l’abbé, qui sera transformée en auberge.
Dès 1536, sous l’autorité bernoise et réformée, l’abbaye et ses possessions vont passer en mains lausannoises. L’ancienne église finit par être démolie et le nouveau lieu du culte prend place vers 1592 dans la salle capitulaire réaménagée. Des remblais sont apportés vers 1668 pour rehausser l’ensemble, qui est agrandi vers le sud; une chaire est installée et porte l’inscription «J.-F. Davel 1669», du nom du pasteur alors en charge, le père du Major Davel né à la cure voisine de Morrens.
Plan reporté sur le sol
L’aspect actuel du temple date de 1776- 1778, suite à son agrandissement au nord, avec sa façade et son clocher caractéristiques. Tout au long de son histoire récente, l’apport de l’archéologie a été précieux dans la détermination des différents aménagements du lieu. Cependant, de grandes zones n’ont pas encore livré leurs secrets ou sinon par touches. C’est particulièrement le cas de la grange qui fait face au temple: si les sondages pratiqués dans sa proximité dans les années septante ont suffi à comprendre le plan général de l’église abbatiale, aujourd’hui reporté sur le sol de la route, l’interprétation poussée de son flanc nord-est ne pourra être abordée que grâce à la fouille du sous-sol du rural. N’est-ce pas là que pourraient se trouver les tombes des premiers abbés?
L’enjeu est tel que, d’accord avec la Municipalité de Lausanne, sous l’impulsion de l’Association des Amis de l’Abbaye de Montheron et des professeurs concernés de l’Université de Lausanne, deux réunions ont déjà été organisées pour réfléchir à l’avenir du site et à sa mise en valeur.
Du côté universitaire, deux étudiants ont récolté, en guise de travail de spécialisation, l’ensemble de la documentation archéologique relative au site. Un projet de fouille du bâtiment rural a été élaboré. Le bâtiment lui-même attend un projet de réaménagement en musée avant que les investigations ne se concrétisent. Pour leur compréhension, l’apport de la consultation des très riches archives de l’abbaye, conservées aux Archives de la Ville de Lausanne (AVL) sera indéniable. Fait rarissime, elles remontent aux premières années de la fondation de l’abbaye et sont bien conservées; on compte environ 1400 parchemins médiévaux, des registres et les comptes du cellérier (l’intendant du couvent) pour 1482. A terme, une monographie digne de ce site d’exception devrait voir le jour.
Ainsi pourrons-nous, comme Félix Vallotton sur la photo grand format qui concluait l’exposition qui lui a été consacrée récemment à Paris, en compagnie de son ami le peintre Vuillard, nous promener sereinement sur le site de l’abbaye de Montheron.
Pour en savoir plus:
Revue des Amis de l’Abbaye de Montheron, 2006-2014.
De Sanctus Leodegarius à Saint-Légier:
une église retrouvée. Commune de Saint- Légier – La Chésiaz, 2014.
* Tous les mois, une page est proposée par les chercheurs de l’Université de Lausanne. L’occasion de porter un regard plus scientifique sur les événements qui ont façonné le canton et les traces laissées
à ceux qui les analysent aujourd’hui.